Hadopi en pire
Après le second tour, la nouvelle présidence révèlera, dans les faits, sa politique vis-à-vis d'Internet en prenant position sur l'avenir de la Hadopi. Pour ses défenseurs, la Hadopi serait un pis-aller. Qui protègerait le citoyen de solutions bien plus répressives. Une argumentation difficile à assumer.
C’est l’un des principaux enjeux de l’après présidentielle pour les acteurs du numérique : l’avenir de la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi).
Abrogation, remplacement, adaptation, ou simple abandon de son action répressive, les propositions ne manquent pas. Certains vont même plus loin, et réfléchissent à la mise en place d’une forme de licence globale qui, par définition, entraînerait la reconnaissance des échanges non marchands. Une adaptation du droit d’auteur à l’ère numérique dont le PS semble avoir récemment rejeté l’idée.
Soutenue et encouragée par Nicolas Sarkozy, l’Hadopi semble pourtant un peu éloignée des préoccupations du président-candidat. Particulièrement depuis la fermeture du site MegaUpload. Même si il continue à défendre sa création dans une interview au Point à paraître aujourd’hui, il explique :“Rien ne ferait obstacle à ce que les autorités françaises lancent une telle opération sur la base du délit de contrefaçon”. Un délit qui figure dans ce bon vieux code de la propriété intellectuelle, créé en 1992. Et qui est utilisé aujourd’hui tant pour fermer des plateformes comme MegaUpload que pour punir les internautes partageant illégalement des oeuvres sur Internet.
Cette dernière mission étant pourtant confiée… à Hadopi. À l’origine, l’écosystème Hadopi a en effet été présenté comme une alternative aux peines sanctionnant la contrefaçon, qui vont jusqu’à trois ans de prison et 300 000 euros d’amende. Un mécanisme jugé excessif pour Internet, auquel on a voulu substituer une approche répressive progressive : la fameuse “réponse graduée”. Un processus qui n’a pas encore été mené à son terme, et dont on peut interroger la pertinence. Puisqu’en parallèle, le vieux système continue de tourner, alimenté par l’action des ayants droit.
Hors d’Hadopi, point de salut ?
Sur ce point, la communication d’Hadopi est bien rodée. Depuis quelques mois, la Haute autorité craint pour son avenir. Et essaye pour s’en assurer un de se positionner comme protectrice d’Internet et des internautes. Adieu réponse graduée, l’administration préfère mettre en avant son rôle “pédagogique”.
Après la promotion des “labs”, ces “ateliers collaboratifs” constitués d’experts et qui s’emparent de sujets allant du streaming au filtrage du réseau en passant par la photographie à l’ère numérique, un nouvel argumentaire est apparu.
Certains le reprennent, mettant en avant la responsabilisation des internautes et les “sanctions pédagogiques” mises en oeuvre par l’Hadopi. Subitement devenue meilleure amie des pirates. Dont la méthode présentée comme douce les préserverait d’une justice expéditive, aveugle et sans pitié. Malheur, donc, si elle venait à disparaître ! Problème : les délits pour contrefaçon sont toujours d’actualité. Les cas d’internautes contrevenants continuent à défiler devant le parquet, sous l’action des ayants droit. En clair : Hadopi a au mieux atténué l’ancien système, au pire n’a rien changé.
Répression à plusieurs vitesses
Plusieurs individus ont ainsi été condamnés ces dernières années, en France, à des peines de prison pour avoir mis à disposition des œuvres culturelles protégées sur le réseau. Derrière ces condamnations, on retrouve des représentants des ayants droit, regroupés en sociétés et associations aux initiales cryptiques : SACEM, SCPP, SDRM, SPPF ou encore ALPA.
Toutes agissent donc dans le cadre de l’ article L335-4 du code de la propriété intellectuelle, qui prévoit que “toute fixation reproduction, communication ou mise à disposition du public” d’une œuvre protégée sans l’accord des ayants droit est passible de trois ans de prison et de 300.000 euros d’amende.
L’Association de lutte contre la piraterie audiovisuelle (Alpa), financée par l’industrie du cinéma et présidée par Nicolas Seydoux, le patron de Gaumont, est particulièrement active dans ce domaine.
Son délégué général, Frédéric Delacroix, nous le confirme :
Nous transmettons aux procureurs en moyenne un dossier par jour.
Largement documentée par nos confrères de PCInpact, la mise en place d’un système à deux vitesses apparaît clairement dans les délibérations de la Commission nationale informatique et libertés(Cnil) concernant l’association de lutte contre la piraterie.
Le principe est simple: l’entreprise Trident Media Guard (TMG) surveille les échanges sur les réseaux peer-to-peer. Sur les adresses IP repérées, soit les agents assermentés de l’Alpa saisissent l’ Hadopi sous forme de procès-verbal, soit ils transmettent le dossier directement aux autorités judiciaires. Une mesure censée concerner les individus mettant à disposition un grand nombre d’oeuvres, ou coupables d’ “une première mise à disposition d’un fichier illicite correspondant à une œuvre de référence…”. D’autres seuils entrent ensuite en considération pour savoir si un individu sera poursuivi au civil, risquant de simples dommages et intérêts, ou au pénal. Si tel est le cas, l’internaute risquera jusqu’à 3 ans de prison et 300 000 € d’amende.
En résumé, à l’Hadopi le menu fretin, et aux ayants droit les gros poissons, en direct. Pourtant, récemment, un quadragénaire bordelais a été convoqué devant le tribunal correctionnel pour avoir partagé 18 films sur eMule, sur une journée. Un chiffre qui apparaît bien peu élevé.
Même si, tient à nous préciser Frédéric Delacroix “l’ALPA n’este pas en justice”. On murmure à la Haute autorité que “les ayants droit ont tous les moyens pour faire du massif”. Dans ce cas, l’intérêt de préserver sa mission répressive est tout relatif. Hadopi ou pas, les internautes partageant des fichiers protégés par le droit d’auteur resteront sur la sellette. Ces condamnations pour contrefaçon pourraient avoir valeur d’exemple, même si Frédéric Delacroix précise :
“On ne médiatise pas ces affaires. Il s’agit de personnes qui font commerce d’oeuvres protégées, ou qui participent à l’essaimage massif de biens culturels”. Avant de poursuivre: “il s’agit d’écrêter le partage massif”. Pour le délégué général de l’association, l’Hadopi tient parfaitement son rôle “pédagogique” :
Hadopi ce n’est pas la partie répressive. Il s’agit de faire changer les comportements des gens, pas d’aller les poursuivre
L’éventuelle suppression d’Hadopi, ou de sa Commission de protection des droits, chargée de l’envoi des courriers recommandés, entraînerait donc un retour à l’existant. C’est à dire, pour Cédric Manara, professeur de droit à l’EDHEC, “une stratégie d’asphyxie menée par les ayants droit” qui “vise à faire des exemples”.
illustrations par Christopher Dombres pour Owni /-)
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