Susan Boyle, ou l’avènement du web 2.5

Le 2 mai 2009

Il faut le reconnaitre, Susan Boyle a tué le web 2.0. La fin des illusions Ce rêve béta d’un monde dont l’information et la culture ne seraient créés et véhiculés que par les amateurs, ce rêve est non seulement idiot, mais bel et bien enterré. Pour la première fois de l’histoire, la télévision, un vieux média, que [...]

Il faut le reconnaitre, Susan Boyle a tué le web 2.0.

La fin des illusions

Ce rêve béta d’un monde dont l’information et la culture ne seraient créés et véhiculés que par les amateurs, ce rêve est non seulement idiot, mais bel et bien enterré. Pour la première fois de l’histoire, la télévision, un vieux média, que l’immense majorité d’entre nous a toujours connu, cette vénérable vielle dame a su utiliser le web social et montrer sa puissance que l’on croyait endormie. Le plus grand mega hit buzzométrique de l’histoire est le fait d’une chaine de télé.

Les vieux média peuvent se saisir du web social, s’y renouveler, s’y réinventer, certains diront s’hybrider. Il y a fort à parier que bon nombre y arriveront. Bien sûr, il y aura beaucoup de morts, mais c’est toujours le cas quand une météorite frappe une planête naguère bien tranquille.

Après la tempête

Le web 2.0 des amateurs n’a certes pas submergé l’environnement médiatico-culturel, mais il a considérablement changé le paysage, au point d’obliger les vieux média à muter en profondeur. Une mue comme ils n’en ont jamais connue jusqu’ici. Pour des média dont les précédents bouleversements technologiques se limitaient à la PAO ou la télé couleur, le choc a été terrible.

Le web 2.0 a également permis à une multitude de sous cultures, et de systèmes médiatico-culturels animés par des technologies, de prendre corps et de s’épanouir. Composées d’audiences fragmentées, elles sont pour la plupart difficiles – voir impossibles – à monétiser, mais elles n’en sont pas moins des cultures, avec leurs codes, leurs langages, leurs rituels, leurs communautés et leurs mythologies. Toutes sont créées, pour l’essentiel, par ce qu’il est commun (pour ne pas dire vulgaire) d’appeler des amateurs.

Au sein de ces sous-cultures, qu’elles se logent dans MySpace, Skyblogs ou Facebook, apparaissent régulièrement des Artic Monkeys ou des Sliimy, qui débarquent subitement dans les mass media – les vieux média scrutant les nouveaux à la recherche de chair fraiche. Là encore, l’un se servant de l’autre pour son plus grand profit. Mais même là, c’est encore une preuve que les vieux média peuvent parfaitement s’hybrider avec, non pas le web 2.0, mais le web social.

Amateurs vs. Professionel

Cette confrontation, trop mise en scène dans l’utopie du web 2.0, on l’a souvent agité sous le nez des professionnels des vieux média. Au mieux pour les inciter à muter au plus vite, au pire pour leur faire peur. Cela n’a pas du tout été efficace, il faut bien l’avouer, et Narvic à bien raison quand il clame que cette utopie est inopérante.

A force de dire à des journalistes que les bloggeurs feraient, demain, leur boulot, il règne désormais, chez la quasi totalité des média traditionnels, une attitude de suspicion et de crainte dès qu’il s’agit d’internet. Au point d’en étouffer jusqu’à la dernière minute les cris du débat Hadopi 1.0, au point que certains représentants de la presse, lors des derniers états généraux, n’hésitaient pas à réclamer une grande muraille numérique ‘à la chinoise’, pour les protéger d’internet, au point qu’il est désormais de bon ton de Moranoïer à tout va en dénonçant les théories du complot les plus farfelues qui pullulent sur internet, pour mieux garder le silence, probablement, sur celles qui montrent un silence coupable des média face à la mise en coupe réglée de l’internet par le pouvoir.

Là où la presse fût jadis le gardien des libertés publiques, cette utopie du web 2.0 l’a poussée, outre à s’hybrider, à se rendre complice de ceux qu’elle dénonçait hier, croyant y voir son salut tout en sachant parfaitement qu’elle sera elle aussi, à terme, une victime, subventionnée, nationalisée par alliance, implicitement réglementée  dans l’usage qu’elle s’autorise de la liberté d’expression.

La réalité, c’est que les bloggeurs ne sont pas prêt de remplacer les journalistes… professionnels. Et comme la crise actuelle, le transfert décevant des budgets off vers le on, la difficulté de monétiser les contenus, etc, vont, au final, faire disparaitre les amateurs chez les journalistes – Darwin oblige – vers quoi se dirige-t-on ?

Encore une bulle qui éclate

Il y a moins d’argent, c’est sûr, et c’est probablement parti pour durer, suffisamment en tout cas pour faire disparaitre tout modèle qui ne soit pas viable par temps de vaches maigres. Qui plus est, sur le online, l’argent dont les contenus s’attribuaient autrefois la part du lion doit désormais se partager avec d’autres acteurs : les technologies, tout d’abord, dont Google est le symbole, et ces foutus amateurs, qui même s’ils aident les vieux média à muter, ont aussi leurs propres mondes, fait de minuscules audiences, certes, mais au final, cela représente énormément de surface publicitaire diluant d’autant le gâteau.

La situation, en terme médiatico-culturel, n’est pas si éloignée de ce qu’il se passe dans le monde des technologies, et on pourrait y trouver une lecture de ce que l’avenir réserve. Trois mondes y cohabitent, le monde du fermé et du propriétaire, à la Apple, celui du Libre, de l’open source, et un monde hybride, fait de sociétés comme Google ou Yahoo. Ces trois mondes sont en réequilibrage aujourd’hui, et le Libre, dont le poids était pour ainsi dire quasi inexistant il n’y a que vingt ans, est aujourd’hui un acteur majeur. Une explosion de la part de l’amateur face au professionnel, elle aussi, largement due à l’internet.

Dans le monde mediatico-culturel, il serait facile de voir ces trois mondes, celui des média old-school qui sont restés comme avant, ou presque, celui des “pure players”, comme OhMyNews ou Skyblogs, faits exclusivement de contenus amateurs, et les hybrides, au mileu.

La période de crise que nous traversons ne fera que faire disparaitre la plupart des média old-school, beaucoup de ceux qui auront su s’hybrider à temps survivront. Les amateurs aussi, quoi qu’il arrive, même si on les surveille, si on les censure, et qu’on les montre du doigt. Les amateurs, et les sytèmes médiatico-culturels amateurs survivront. Mais une chose est sûre, pour des raisons différentes, financières d’un coté, et démocratiques de l’autre, les systèmes médiatco-culturels, qu’ils soient portés par des professionels ou des amateurs, traversent, chacun de leurs coté, une crise aiguë.

Une muation a la David Cronenberg

Maintenant qu’amateurs et professionnels se sont saisis sur web social, il va leur falloir assumer cette hybridation qu’il ont réalisé avec les technologies, qui sous tendent tout cela. Cela pose des problèmes multiples et variés. Comment, pour l’amateur, gérer son identité, et comment, pour la démocratie, légiférer ou enseigner cela, ou bien encore comment, pour le professionnel, innover en matière de technologie quand on est un média et que ce n’est vraiment pas son métier.

Car cette hybridation a un coût, celle de la dépendance à une technologie qui ne cesse de changer, d’évoluer, de se perfectionner où de créer des usages totalement inattendus.

Dans le secteur des contenus – aliment de base du médiatico-culturel – le chemin vers la terre promise du web 3.0, celui des machines intelligentes, passe par de nécessaires étapes.

Maintenant que le web 2.0 est derrière nous, avec, plus loin encore, le monde du web 1.0, et alors que le web 3.0 n’est pas pour demain, il va falloir créer le web… je sais pas, moi… disons 2.5.

Pour cela, on a déjà quelques petits morceaux de la version 3.0, comme les technologies sémantiques. Celles qui permettent à la machine de réaliser certaines tâches habituellement réservées aux humains, comme ‘comprendre’ une question, identifier des relations logiques au sein d’un contenu, discerner et classer les faits, les actes, etc.

Ce dont nous disposons est assez embryonnaire, et ce à quoi nous avons accès l’est encore plus, ceci dit, c’est déjà assez impressionnant. Reste à voir comment les amateurs et les professionnels vont s’emparer de ces outils et ce qu’ils vont en faire.

Bas les masques

En réalité, la véritable bataille, si vous y regardez de plus prêt, n’est pas entre amateurs et professionnels, tout cela se passe entre professionnels. Vous avez les professionnels des contenus, comme le New York Times, et les professionnels des technologies – qui se servent (leverage) souvent des amateurs – comme YouTube ou MySpace, avec, bien sûr, au milieu, une éternelle hybridation des modèles : CurrentTV, le Huffington Post…

Les rééquilibrages qui s’annoncent, au final entre contenus et technologies (autonomes, comme Google, ou utilisant les amateurs, comme YouTube), vont prendre longemps, ce ne sera pas l’affaire de quelques années comme l’on prophétisé certains à l’arrivée du web 2.0. Cette prophétie du web 2.0 éclate aujourd’hui grâce à Susan Boyle, comme la bulle internet a éclaté en mars 2000. Mais la bulle en 2000 n’a pas fait ne serait ce que fléchir la croissance de la population internet, et l’éclatement de la bulle du web 2.0 n’aura pas plus d’impact sur le web social.

Le web 2.0 est mort, vive le web 2.5 !

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