News junkies et web addicts : effet retard, et déconnecté
Les hyperconnectés sont qualifiés fréquemment de toxicomanes du web. Facebook, MySpace, Twitter, blogs, jeux en ligne (MMORPG), ils ont du mal à décrocher du mulot, du clavier et de l’écran. Une version plus spécialisée, les drogués des médias, ou news junkies, sont dans une recherche permanente et monomaniaque de l’information. Un élément de des comportements de [...]
Les hyperconnectés sont qualifiés fréquemment de toxicomanes du web. Facebook, MySpace, Twitter, blogs, jeux en ligne (MMORPG), ils ont du mal à décrocher du mulot, du clavier et de l’écran. Une version plus spécialisée, les drogués des médias, ou news junkies, sont dans une recherche permanente et monomaniaque de l’information.
Un élément de des comportements de ces camés de l’info, et dans une moindre mesure des web addicts (les joueurs en ligne constituent un cas à part, en particulier quand ils en deviennent otaku, reclus chez eux) n’est pas suffisament mis en avant. Le véritable plaisir de cette addiction n’est pas dans l’acte lui-même mais dans son exploitation sociale a posteriori.
Dans une toxicomanie habituelle, qu’il s’agisse de substances psychotropes, de comportements sociaux (sexe, nourriture, pouvoir) ou d’alcoolisme, le plaisir, ce qui fait revenir à la chose est dans l’acte lui-même. Le fix, le sniff, l’orgie, le verre, c’est la consommation qui donne satisfaction, et qui donne envie de revenir par la suite à l’état de plaisir ou de satisfaction.
Après, c’est la chute, la descente, le manque. Il faut donc recommencer, car la privation stresse, et génère l’envie, psychologique et/ou psychique, de s’adonner à nouveau à son plaisir. Car en dehors des pratiques ou substances sévèrement addictives, c’est bien le besoin de recréer les conditions du plaisir qui pousse à recommencer. Progressivement, on en vient à augmenter les doses pour retrouver les effets désirés, c’est l’accoutumance.
Dans le cas des news junkies et des web addicts, il n’est pas du tout certain que le seul plaisir provienne de l’acte. Bloguer, commenter, twitter, chercher l’information, la commenter et l’enrichir, enquêter soi-même, parcourir au hasard son graphe social… Il y a là une certaine excitation. C’est le cas par exemple des moments que l’on perçoit comme historiques, quand on est face à des évènements prenants, d’ordre privé ou globaux.
On peut ressentir le frisson, l’adrénaline quand le temps presse ou que l’information s’accélère (11 septembre 2001, nuit des présidentielles américaines qui vit la victoire de Barack Obama ou mort de Michael Jackson pour prendre trois cas récents), et même ne pas être spectateur passif. On peut chercher des sources, suivre des tendances, chercher de l’information alternative, dénicher des incohérences ou des maladresses. On peut même ne pas être passif du tout et commenter en temps réel, voire apporter un éclairage si l’on est connaisseur, témoin ou expert.
Les effets néfastes sur la vie sociale sont là également. Trop d’attention à donner peut nuire à la capacité de concentration et génèrerait une volatilité des pensées. Que dire de ceux qui restent connectés en permanence par peur de manquer quelque chose d’important dans le flux de l’information. Grâce aux appareils mobiles, ils sont connectés et lecteurs ou même actifs à table, avec leurs amis, en famille, voire aux toilettes ou à la messe. Certains en oublient les tâches quotidiennes, d’autres se mettent à tout analyser sous l’angle des médias sociaux (avant : “I’m blogging this”, aujourd’hui “ça se twitte”) avec le besoin compulsif de garder une trace numérique de tout, de tout partager.
Le manque existe aussi : les hyperconnectés sont mal quand ils n’ont plus d’accès à internet, quand la technique ne suit pas, quand ils ne peuvent satisfaire leur boulimie numérique. La cyberdépendance est d’ailleurs considérée comme une pathologie, même s’il semble que pour l’instant on ne traite que les joueurs en ligne et les clavardeurs (chatteurs, mais dit par nos camarades de la Belle Province) compulsifs.
Et bien entendu, certains tentent une cure, ou ont besoin d’un sevrage plus progressif en maintenant des doses minimes ou en cherchant des substituts.
Pour autant, le réel plaisir, la satisfaction personnelle (ego, sentiment de partager et de se rendre utile, reconnaissance sociale) vient plutôt après. Il y a comme un effet d’emmagasinage, de stockage, pour libérer le tout plus tard, comme un effet retard.
Etre dans la posture de celui qui sait est surtout valorisant dans la vie déconnectée, dans les relations sociales avec ses amis, ses collègues, ses connaissances. L’information est une monnaie sociale. C’est pourquoi son acquisition peut être grisante, comme l’est la constitution de richesses bien matérielles ou monétaires. On montre ce dont on est capable.
Nous sommes là face à une toxicomanie étrange où l’acte n’est pas la jouissance en soi, et où son exploitation s’effectue en-dehors du cadre de son exercice même. Un peu comme si un alcoolique était d’un coup éméché lors d’un repas sobre alors qu’il a bu trois jours avant, ou comme si un sex-addict prenait son pied durant un repas dominical avec sa famille puritaine. Car jusqu’à présent, être news junkie est parfois considéré avec dédain ou ironie, mais pas (encore ?) avec dégout ou horreur.
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