Narvic buzze-t-il ?
A partir de combien de billets de blogs, de commentaires ou de tweets peut-on parler d’un buzz sur internet? Nul n’est capable de répondre à cette question. Ce qui est bien pratique. Comme la rumeur ou le lynchage, le “buzz” est en train de devenir un outil de disqualification a priori dans le débat citoyen: [...]
A partir de combien de billets de blogs, de commentaires ou de tweets peut-on parler d’un buzz sur internet? Nul n’est capable de répondre à cette question. Ce qui est bien pratique. Comme la rumeur ou le lynchage, le “buzz” est en train de devenir un outil de disqualification a priori dans le débat citoyen: un argument qu’il suffit d’énoncer pour renvoyer ipso facto l’opinion adverse dans le camp du populisme bas du front (aka Front National). Lorsque ce sont les Copé ou les Lefebvre qui appuient sur ce bouton du lavage automatique de cerveau, on ne s’inquiète pas, tant leur position de juge et partie éteint toute force argumentaire. Il est plus surprenant de retrouver ce réflexe sous le clavier d’un blogueur émérite, bien connu pour ses autoportraits simiesques et son usage compulsif du smiley, notre camarade Narvic.
Dans Slate, où il intervient comme blogueur invité, Narvic s’inscrit dans le sillage de Finkielkraut, voit «clairement, des accès de populisme» dans les derniers buzz du mois, et estime que «le buzz répond à une question qui n’est pas posée». «Comme dans les cas précédents, le problème n’est de toute façon pas là , et c’est bien ce qui me chiffonne avec ces buzz, écrit Narvic. La question n’est pas de savoir si Roman Polanski est bénéficiaire ou victime de sa notoriété dans l’affaire judiciaire qui le poursuit depuis trente ans. La question n’est pas de savoir si Frédéric Mitterrand est victime d’une manipulation orchestrée par le Front national. La question n’est pas de savoir si Jean Sarkozy n’est pas en train de débuter une grande carrière politique dans le fief de son père… A travers ces buzz et par le levier d’Internet qui entre en résonance avec les médias traditionnels, l’opinion publique prend prétexte d’une actualité pour imposer son propre agenda au monde politique et médiatique.» Suivant la technique éprouvée du radiosophe (qui n’hésite jamais à donner à ses propos de comptoir le ton apocalyptique qui permet à la ménagère de moins de cinquante ans d’identifier l’intellectuel médiatique), le blogueur conclut avec gravité: «la démocratie y survivra-t-elle?»
Narvic, on te préfère lorsque tu te fais caisse de résonance du hashtag #jeansarkozypartout! Prenons ce cas intéressant du fiston pistonné. Ceux qui ne se bornent pas à lire les éditos d’Olivennes pour savoir ce qui se passe sur le net ont constaté qu’en matière de “chasse à l’homme”, la populace moqueuse a surtout bien ri. La plaisanterie récurrente sur Twitter – dans laquelle on aura du mal à voir la moindre trace d’agressivité envers la personne de Jean Sarkozy – revenait à décliner les formes de l’omniprésence ou de l’omnicompétence de l’étudiant en droit. Si «Jean Sarkozy sait faire une omelette avec des oeufs Kinder» relève du lynchage, alors les blagues Carambar sont une arme de destruction massive qu’il est urgent d’interdire.
Arrêtez les chatouilles! nous disent en faisant les gros yeux les ministres alignés le doigt sur la couture du pantalon. Qui décrivent comme une “polémique” ce qui est tout de même un cas d’école assez visible du sarkozysme triomphant (le clan d’abord – et je t’emmerde!). La polémique étant cette situation du débat où deux opinions divergentes s’opposent, voilà encore une façon bien pratique de laisser entendre que l’une des deux ne vaut pas tripette. Ce qui est plus drôle que tous les tweets #jeansarkozy, puisque mis à part cette démonstration gouvernementale de parfaite obéissance au chef, pas un Français en âge de lacer ses souliers ne voit dans cet épisode autre chose que l’application de la loi du plus fort issue de l’élection du 6 mai 2007.
Spécialiste notoire de tout ce qui touche aux uns et aux zéros, Alain Duhamel avait identifié dans la vidéo amateur la menace majeure pour l’horizon démocratique du XXIe siècle. En suivant de près ce modèle, Narvic peut dès à présent réclamer son rond de serviette dans les colonnes de Libération. Sous le gouvernement le plus autoritaire de la 5e République, dont le chef se livre ouvertement au népotisme, à l’intimidation et à la politique du doigt d’honneur, bien évidemment, le pire danger pour la démocratie, c’est l’expression de la diversité des opinions, c’est la contradiction argumentée des avis ministériels, c’est l’appréciation moqueuse du fait du prince – c’est le buzz, vous dis-je!
A ce niveau de confusion, on peut estimer que le finkielkrautisme a vaincu. Désolé de contredire le radiosophe, mais la principale raison de la multiplication des accès d’humeur de ces dernières semaines ne me semble pas relever du déterminisme technologique. Leur vrai fondement, c’est tout simplement l’accumulation de dérapages navrants et de déclarations scandaleuses. Il me paraît incroyable d’avoir à l’écrire: conserver notre capacité à nous émouvoir de ce qui est choquant est un signe élémentaire de bonne santé de l’espace public, dont on se réjouira d’autant plus qu’on est préoccupé de démocratie. Quant au buzz, mieux vaut laisser cet indicateur nébuleux aux journalistes en mal de sensations fortes. En 2009, il n’est tout simplement plus possible de prétendre séparer déterminations médiatiques “d’en haut” et réactions du web “d’en bas”: l’internet d’aujourd’hui est un espace définitivement global, le miroir composite des émotions publiques, qui s’alimente simultanément à toutes les sources.
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