Retraite vers le futur: mais qui connait monsieur Alex Kotizan?
La Cnav a fait concevoir un serious game sur la retraite pour les étudiants et les jeunes travailleurs dans un but pédagogique. Malheureusement le coche est loupé.
Retraite vers le futur, ou comment une louable intention finit dans le mur. Partant du constat que le sujet crucial des retraites est loin de passionner les jeunes, la Cnav a souhaité communiquer à leur intention via un média adapté -sur le papier- à leurs goûts. En l’occurrence un serious game intitulé Retraite vers le futur, dont le synopsis et l’univers réfère au “film culte” de leur enfance (ah bon ?). Signalé à juste titre par @nico_ltdm (ex @nobrist) d’un “OMFG #ilsontosé“, ce jeu conçu par Paraschool, société spécialisée dans les “solutions éducatives” propose à l’internaute une simulation dans le futur de sa retraite, “une nouvelle approche du sujet, à la fois ludique et interactive” sensée faire passer la pilule des connaissances à s’enfiler. Sauf que non, pour deux bonnes raisons.
Il faut s’accrocher pour arriver au bout
La première, c’est que le jeu est rébarbatif, il faut vraiment en vouloir pour le finir. Le jeune est invité par Alexandre Kotizan (lulz), un jeune retraité de 2046, à le rejoindre en 2046. Soit, essayons. Le jeu, réalisé en Flash, est tellement mal codé qu’il a fallu qu’on s’y mette à trois pour le finir. La personne prête à “tent[er] l’aventure” va en effet devoir réussir trois “épreuves” lors de son voyage, qui correspondent aux points-clés du message que la Cnav a souhaité faire passer : la collecte des documents nécessaires plus tard au calcul de la retraite, les périodes de cotisation et le nombre nécessaire pour une retraite au taux plein et les valeurs du système, solidarité, etc.
Comme on est dans un jeu, n’oubliez pas, l’internaute courageux est invité à prendre le volant d’une auto (voiture, caisse, hu, hu…) et ramasser par exemple ses fiches de paye, etc. “Courageux” parce que ça finit vite dans les graviers. La Cnav reconnait que lorsque l’objet a été présenté en test, des filles ont fait remarquer que les jeux de voiture sont plutôt pour les garçons. Certes, mais même mes deux mâles camarades d’open space ont pesté devant une maniabilité si catastrophique. Au passage, le principe du jeu de voiture a été conservé, tant pis pour celles qui n’aiment pas cela.
Le tout sur fond de musique de film d’action plutôt anxiogène, d’autant plus qu’un compteur défile à toute vitesse. Histoire d’en rajouter une couche, la deuxième étape se déroule de nuit car
la nuit, comme la vie, étant porteuse d’incertitude, le rallye se déroulera symboliquement de nuit.
À nos remarques là -dessus, la Cnav répond : “nous n’avions pas comme objectif de rassurer mais d’être rassurant en expliquant, le but c’était d’être pédagogique.” Nous vous laissons juge de qualifier l’ambiance, notion il est vrai subjective.
La cible n’est pas au courant de l’existence du jeu
Seconde raison pour laquelle Retraite vers le futur a loupé le coche, elle n’a pas communiqué là -dessus. Le jeu est en ligne depuis octobre 2009 et le jeune n’est toujours pas au courant, faute de budget idoine : “Cela nécessitait des moyens de communication de masse importants, du coup nous n’avons pas encore touché notre cible“, explique Emmanuelle Sainson, responsable de la communication de la Cnav. Ah oui, mais une page Facebook, c’est cher ? “Nous allons doucement vers les réseaux sociaux, justifie-t-elle, nous faisons des études pour savoir si on y va, nous irons peut-être à l’avenir.” Prudence est parfois mère de fail. En revanche, il ont prévu de faire des partenariats avec l’éducation nationale et l’enseignement supérieur. Jean-Eric Lucas, président de Paraschool nous a de son côté dit que la Cnav n’avait pas souhaité communiquer car le sujet des retraites est sensible en ce moment.
Un petit tour sur Alexa et Bit.ly donne une idée de la faible circulation de l’adresse. De même, le forum compte en l’état actuel trente membres, sept discussions et douze messages. Il faut dire que les concepteurs ont eu la riche idée d’obliger à finir le rallye pour pouvoir s’y exprimer. De l’art délicat de manier la carotte et le bâton.
En même temps, faut-il communiquer sur ce produit… Arnaud Parienty, professeur agrégé de sciences économiques, blogueur sur Alternatives économiques et ancien membre du Conseil d’orientation des retraites, se montre aussi réservé : “C’est parfaitement juste sur le plan technique.
Mais on demande des solutions individuelles, sans la moindre interaction avec d’autres, pour régler des problèmes collectifs, relevant forcément du politique.
Ainsi, un bon citoyen “solidaire” doit régler son véhicule. “Avant de repartir en cliquant sur le bouton “valider”, réfléchisser (avec une belle faute d’orthographe) aux conséquences de votre paramétrage sur le consensus social. Êtes-vous prêt à cotiser plus pour maintenir le montant des retraites versées à vos parents et, plus tard, vous mêmes ?” Il faut “piloter sa “caisse” à travers les différentes étapes du “rallye de la retraite” tout en se montrant capable de régler au mieux son moteur afin d’éviter tout risque d’emballement du système.” On précisera à toutes fins utiles que le ministère du Travail n’a pas validé ce projet, ni fait de corrections, il y a juste eu des échanges sur le sujet.
“Après, ce n’est qu’un jeu, cela nous en dit plus sur la communication que sur les retraites, poursuit Arnaud Parienty. Maintenant, est-ce que c’est motivant pour les jeunes, dont on comprend bien que le but de ce jeu plutôt laborieux et trop compliqué est de les sensibiliser ? Je suis très dubitatif quant à la méthode employée. Pour avoir animé des débats, des stages et tout ce qu’on peut animer, sur le sujet, je reconnais qu’il est difficile d’intéresser les moins de 40 ans au sujet, à part dans un contexte militant.
Mais le ton du jeu ne donne-t-il pas à penser qu’on les prend pour des débiles ?
Ne vaudrait-il pas mieux les informer sérieusement sur le fait que certains contrats (de stagiaire, en particulier) ne permettent pas de valider des trimestres, alors que les petits boulots le permettent ?”
Curieusement, Retraite vers le futur a pourtant obtenu un prix au Serious Game Expo de Lyon l’année dernière, ce qui a “conforté” la Cnav dans sa démarche. Et ce n’est pas un prix d’encouragement…
95.000 euros de budget, le double du temps pour le finir
Au fait, combien à couté ce rutilant véhicule inutilisé ? Et bien la coquette somme de… 95.000 euros. De plus, il a mis deux ans à être conçu au lieu d’un. On aurait pu s’en douter, vu que l’aventure commence en 2008… “Ce fut plus long que prévu, raconte Emmanuelle Sainson, c’est un projet ambitieux de vulgariser ce sujet pour les jeunes, ce n’est pas une gageure.”
Paraschool avait remporté l’appel d’offre sans trop de soucis, puisqu’ils étaient les seuls en lice. La boîte avait déjà été recommandée par une agence de communication qui travaillait avec la Cnav sur la thématique de la communication avec les jeunes. Elle n’avait apparemment pas lu les analyses de notre camarade Jean-Marc Manach sur deux de ses précédentes réalisations, Mission Défense et Cyber-Budget.
À la fin, vous avez droit en bonus (lulz bis) à des vidéos : l’une montre Jean-Marcel Jeanneney, ministre de de Gaulle, démontrer le bien-fondé de la création de la Cnav, dans un exposé très ORTF, avec explications au tableau à l’appui. Pour la forme, le journaliste pose quelques questions, sitôt repris par le ministre. Le second est un imbitable documentaire sur la retraite, mode “parlons au citoyen comme à des enfants“. Retraite vers le futur ou l’art de s’enduire d’une -coûteuse- couche d’interactivité.
Quid de l’avenir du jeu ? Direction la casse ? En ces temps de réforme, le jeu ne saurait rester totalement en l’état : “On attend de voir, il y a deux solutions, soit on le retire provisoirement le temps de faire des mises à jour, soit on le laisse en mettant des messages de mise à jour. De toute façon, ce n’est pas un site sur l’actualité de la retraite, il y a des ajouts à prévoir mais pas de remise à jour de fond en comble“, détaille Emmanuelle Sainson, qui ne croit pas pour l’heure à une remise en cause du système par répartition. Une idée qui ressort pourtant régulièrement, dans les rangs de l’UMP par exemple ou encore la Commission européenne. Mais est-ce bien sérieux ?
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Pour tenter l’aventure : Retraite vers le futur
Les deux articles de Jean-Marc Manach : Futurs trouffions, votre mission : cliquez-là et « Vis ma vie de ministre du Budget »… à l’ANPE
MAJ : le 20 juillet, suite à l’appel de Paraschool.
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