Serious Games: Etats-Unis 1 – France 0
Pour l'instant, les quelques exemples de "jeu sérieux" conçus pour notre administration ne sont guère des réussites. La comparaison avec les réalisations outre-Atlantique n'est guère flatteuse.
Utiliser le jeu pour éduquer. Dit comme ça, rien de révolutionnaire. Pourtant, la mode est définitivement à ces “serious games” (en bon français “jeux sérieux”), utilisés dans les institutions, les entreprises ou encore les hôpitaux. Un rapport de l’IDATE (Institut de l’Audiovisuel et des Télécommunications en Europe) publié le 7 juillet dernier estime la taille du marché mondial à 1,5 milliards d’euros, et anticipe une multiplication par 7 de ce chiffre d’ici à 2015.
L’origine des serious games est ancienne. On en trouve la trace dès 1970, dans l’ouvrage de l’américain Clark Abt, intitulé Serious Game. Il pose les bases du concept : le serious gaming consiste à utiliser le caractère divertissant du jeu pour ls “sublimer” à des fins d’apprentissage, de formation ou d’entraînement.
Aujourd’hui, des hôpitaux aux ONG en passant par les écoles, les serious games sont de plus en plus répandus. Sauf qu’entre-temps, ils ont emprunté le chemin du numérique et c’est désormais sur les consoles et les ordinateurs qu’ils se déclinent. Fort logiquement, le gouvernement s’intéresse de plus en plus près à ce nouveau moyen de formation, d’entraînement, d’éducation… mais aussi de communication.
En bonne place dans le volet “économie numérique” du Grand Emprunt
Ils figurent ainsi en bonne place dans le volet “Économie Numérique” du Grand Emprunt, piloté par Nathalie Kosciusko-Morizet. En juin dernier, dans l’émission Buzz Média Orange-Le Figaro, la secrétaire d’état enjoignait les investisseurs à se pencher sur le cas des serious games, délaissés par les financiers, dans un pays qui compte pourtant de grands studios de développement de jeux vidéo “traditionnels”. La liste des projets a d’ailleurs été récemment rendue publique.
L’administration n’a en réalité pas attendu NKM puisque c’est dans une relative discrétion que, depuis plusieurs années, elle commande et finance des serious games. En plus de Retraite vers le futur, sur lequel nous revenons en détail dans ce dossier, ce sont plusieurs de ces jeux qui ont été développés pour l’administration.
Cyber-Budget, sorti en 2006 pour le compte du ministère du Budget (à l’époque dirigé par Jean-François Copé) avait pour vocation de familiariser les Français avec les contraintes budgétaires de leur pays et avec quelques notions de finance publique. Malgré un petit bug à l’allumage, c’est sans doute celui qui a été la plus grande source de satisfaction. Car outre l’échec de Retraite Vers Le Futur, l’autre serious game commandé récemment par l’administration n’a pas non plus été une réussite.
Destiné au ministère du même nom, Mission Défense ne semble en effet pas avoir rempli ses objectifs. Peu de visites, un gameplay médiocre, une ergonomie douteuse et un message difficile à saisir, c’est le constat que faisait Jean-Marc Manach juste après la sortie du jeu.
Plus récemment, c’est 2025exmachina qui a été sous les feux de la rampe. Sorti il y a quelques semaines à peine – en plein pendant les polémiques liées à la vie privée sur Facebook – son enjeu est important et sa volonté extrêmement louable. Non, les réseaux sociaux ne sont pas d’infréquentables nids de pédophiles, et oui, il faut faire attention aux photos, liens et autres éléments susceptibles de se retourner contre nous. Le propos en revanche, est sans doute un peu caricatural, et le jeu particulièrement peu ergonomique, immersif et palpitant. Le temps fort du jeu résidant dans une “timeline” d’un Facebook caricaturé qui défile et où le joueur doit choisir si oui ou non il doit partager cette photo de lui ivre-mort… C’est sans surprise qu’on retrouve derrière cette initiative la controversée CNIL et la très rigolote Curiosphere.tv (qui le diffuse). Pas étonnant non plus que ce serious game ait été réalisé dans le cadre du projet Internet Sans Crainte, qui a également accouché de Net Écoute, qui nous a bien fait rire récemment.
A l’exception de 2025exmachina, c’est Paraschool, filiale d’Editis spécialisée dans les solutions éducatives en ligne, qui a conçu tous les jeux précédemment évoqués.
America’s Army, une autre dimension
Pourtant, les serious games peuvent être un succès. Si on traverse l’Atlantique, on y trouve le serious game le plus célèbre et le plus joué du monde : America’s Army. Développé par l’armée américaine, il est un des jeux en ligne les plus joués au monde et compte plus de dix millions de joueurs. Lancé en 2002, il répond à trois objectifs : instrument de communication, il permet également de collecter des données sur les jeunes Américains et sert aussi d’instrument de recrutement : les meilleurs joueurs sont invités à rejoindre les rangs.
La différence avec le piteux Mission Défense ? Ce n’est pas une interface en Flash – rigide, peu pratique, qui s’utilise uniquement depuis son navigateur et qui sacrifie complexité et aspect immersif sur l’autel de la simplicité du développement, mais un véritable jeu vidéo installable sur son ordinateur, gratuit, disponible sur Internet. Une autre différence pourra être trouvée du côté du budget, puisque America’s Army aura coûté près de 33 millions de dollars sur huit ans au contribuable.
AAMC Pipeline Race : un exemple de mission que vous devez accomplir, visible sur la chaîne YouTube d’America’s Army
Bien d’autres serious games rencontrent un beau succès aux États-Unis, de Revolution, développé par le MIT et l’Université du Wisconsin, chargé de sensibiliser les élèves à la guerre d’indépendance américaine à Urban Resolve 2015, mettant l’action sur la gestion des villes par l’armée américaine, il serait difficile d’en faire une liste exhaustive. De plus, les serious games sont fortement présents sur la scène médiatique : America’s Army parraine ainsi de nombreux évènements sportifs, culturels…
Pourquoi un tel succès aux États-Unis alors qu’ils ne font encore que vivoter en France ? Noah Falstein, expert américain du secteur, cité par RSLN esquisse quelques pistes de réflexion. À l’inverse de la France où on a tendance – dans tous les domaines – à les opposer, les serious games sont avant tout pensés comme des films où on ne retrouve pas l’opposition stérile entre rentabilité et visée éducative.
La force des serious games est de toucher ceux qui ont l’habitude des jeux vidéos, mais également ceux qui n’en ont pas l’habitude. De plus, la génération des jeunes biberonnés aux jeux vidéos est de plus en plus importante dans la vie active et sur le marché du travail. Alors, mode passagère ou réel mouvement de fond ? Selon Henry Jenkins, professeur au MIT, c’est plutôt la deuxième solution qui prévaut :
Dans une société de chasseurs, vous jouez avec un arc et des flèches. Dans une société de l’information, vous jouez avec l’information.
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Image CC Flickr Stéfan
MAJ : le 22 juillet suite à l’appel de Paraschool.
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