Les erreurs des manifs d’automne : une frappe molle
Déçu de la journée de manif du 6 novembre, Séb Musset voit dans la monotonie du mouvement une de ses faiblesses. Pour lui, la constestation doit être capable de bloquer l'économie et d'incarner le sentiment d'injuste pour être efficace.
Malgré les trombes d’eaux, malgré une matinée à courir après un bus de la RATP qui n’est jamais arrivé, j’y suis retourné. A 14h30, je remonte le boulevard Beaumarchais. La manifestation est censée avoir commencer. Hormis la sono hurlante, résonnant deux fois plus faute de corps pour amortir le bruit, c’est tragiquement calme. Au point que la circulation des voitures n’est pas encore coupée. Fidèle à son gouvernement, et profondément solidaire avec les travailleurs, un chauffeur de taxi passe en force avec sa berline climatisée au travers d’un groupe de quelques syndicalistes à leur point de ralliement.
Une dame : va lui péter la gueule, Raymond !
Il est déjà loin.
Il pleut de plus moche. N’allons pas faire notre Beauvau, mais force est de constater que les cortèges Place de La République sont plutôt clairsemés. Les caméras de télévision, discrètes aux précédentes mobilisations, sont venues en force. Des équipes emballées dans des K-Way géants, comme s’ils traversaient une tribu sauvage d’Amazonie, capturent en HD toutes les gueules rincées qui passent. Comme si nous étions trop nombreux, le cortège est divisé en deux parcours.
Requiem pour les retraites le 6 novembre
Avec sa désastreuse météo de droite, sa visibilité à trois mètres, sa procession de parapluie (que je prends systématiquement dans la tronche) et malgré l’entrainante prestation d’HK et les Saltimbanks, la mobilisation ressemble à un requiem pour les retraites.
Leaders non charismatiques, slogans au marteau, aucune participation des intellectuels français, manque d’incarnation [1] : quel gâchis de bonnes volontés après deux mois d’une superbe et poignante mobilisation où nous avons croisé tant de gens exceptionnels, redonnant confiance (jusqu’aux autres pays) dans la résistance citoyenne.
La stratégie syndicale laisse perplexe. Pourquoi tant de mobilisations si proches et pas de grève générale, si ce n’est pour faire de l’accompagnement de réforme ? Pas même un referendum d’initiative populaire, comme pour La Poste. La tête syndicale a lubrifié la révolte, faisant piétiner sa base jusqu’à tant que le gouvernement puisse la prendre au piège de « la mobilisation en baisse » et que les dociles caméras puissent faire ces images que les gouvernements étrangers attendent pour déclarer que « regardez, nous devons nous réformer comme en France ! Là -bas plus personne ne va contre le progrès ».
Mais la faute est aussi en nous. Malgré notre « soutien populaire » à ce mouvement, nous avons laissé faire les autres. J’ai beaucoup entendu parler de Mai 68 depuis deux mois, comme s’il s’agissait d’une formule magique, d’une marque déposée. Ce mouvement n’a rien à voir avec 68, et aucun mouvement ne renversera quoi que ce soit, sans la contribution active de ceux qui le soutiennent virtuellement. Tandis qu’une poignée d’irréductibles bloquait les raffineries, nous continuions à pointer à nos boulots, soulagés qu’ils fassent le travail (et prennent le risque) du non-travail à notre place, réjouis du boxon tant qu’il ne nous affectait pas trop. Et puis, quand même, un peu inquiet à l’approche des congés que notre week-end prolongé chez Mamy soit un peu gâché et que notre confort moderne soit remis en question quelques journées, nous avons, à l’unisson de notre « méchant » gouvernement, sonné la fin de la récré.
Nous avons abandonné nos combattants en rase campagne.
Incarner un mouvement
La force d’inertie de la clique mafieuse au pouvoir, exige plus pour être déstabilisée que les renoncements quotidiens de ceux qui s’en plaignent mollement. Ces deux mois de mobilisation sont la preuve par l’exemple qu’il faut saisir ce cadre que nous offrent les syndicats mais vite le déborder.
Pourtant pour reprendre le cri de guerre des derniers courageux militants sous parapluie du jour gris, oui « ça va péter », un jour, il ne peut en être autrement. Mais il va falloir oser taper où ça fait mal, et ne pas attendre que nous soyons réduits à l’état de loques sociales, affamés, édentés avec une espérance de vie de 52 ans :
- incarner ce mouvement. Il faut plus de leaders à la Xavier Mathieu en tête de pont, et moins de followers à la François Chérèque face à Chabot pour servir la soupe à Parisot. Nous avons besoin de raconter des histoires, des situations, des portraits. Créer du feuilleton, du « storytelling » comme ils disent là -haut. Il n’y aura même pas à forcer le trait tant les drames et les injustices s’accumulent.
- des manifestations moins nombreuses, mais plus massives, avec une grosse démonstration de force centralisée sur Paris, dirigée vers les banques, les sièges, les lieux de pouvoir, les beaux quartiers (la manifestation dans le VIIIe avait une autre ambiance, un poil plus électrique, que les classiques défilés Répu-Nation). Le mouvement d’octobre 2010 nous aura confirmé une chose : le pouvoir tremble plus que jamais devant la rue, son mutisme au pic de la contestation était du jamais vu en trois ans.
- le blocage de l’économie. Un mois de serrage de ceinture vaut bien la sauvegarde d’un pays et de ses générations. Et puis ça fera des souvenirs « de guerre » à raconter pour les trois prochaines générations.
Attendre 2012 ne suffira pas
Enfin bon, je m’emporte. Mais j’avais un peu le moral à zéro en rentrant hier de la manifestation parisienne, trempé de la tête au pied, alors qu’au buzzomètre du jour, je réalisai que la vidéo de la femme d’un Ministre raciste déboulant, glamour, en robe pigeonnante pour une sauterie élyséenne à la gloire du grand démocrate chinois Hu Jintao, pétait tous les scores.
Que faire maintenant ? Attendre 2012, comme je l’entends partout ? Bien sûr, mais cela ne suffit pas. Les mêmes effets reproduiront mais les causes. Si l’on reste sur la chaussée à regarder les autres passer, les mêmes gouvernements passeront et passeront encore, poursuivant leur œuvre de destruction.
Va falloir rejoindre la danse et se mêler de ces choses dont ils ne souhaitent pas que l’on s’occupe et qui, pourtant, nous affectent bien plus qu’eux.
Si cela peut vous rassurer: avec l’énergumène au pouvoir, je suis persuadé que nous aurons, avant 2012, à remontrer de quel bois nous nous chauffons.
Billet publié initialement sur le blog de Séb Musset sous le titre 6 novembre, un jour gris.
FlickR CC Grégoire Lannoy ; François L ; blog c politic.
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