Hadopi: Labs Sans
Centres de recherche nichés au cœur de la Hadopi, les "Labs" et leurs directeurs ont lancé leur travaux en février. Retour sur leur création: vulgaire opération de com' ou vraie opportunité de hacker la machine de l'intérieur?
Article initialement publié en février dernier, à l’occasion de la création des Labs.
Deux semaines seulement après avoir fait un premier bilan des opérations, la Hadopi a remis le couvert, cette fois-ci pour faire la présentation de ses fameux “Labs“. Annoncée en octobre dernier, l’initiative consiste à réunir “ceux qui le souhaitent” autour de cinq tables de réflexion, consacrées à “la place de la création sur Internet” et, plus largement, à “l’impact du numérique sur la société en général”. Le tout, placé sous le haut patronage de sept experts nommés et rémunérés par la Haute Autorité, que sa présidente Marie-Françoise Marais et son secrétaire général Éric Walter ont officiellement introduits hier, saluant au passage “leur courage”.
Car il faut dire que cette nomination, comme d’ailleurs l’ensemble du projet Labs, sont plutôt restés en travers de la gorge de la plupart des opposants à la loi Création et Internet, et aux dispositifs tortueux dont elle est à l’origine -suivez mon regard. De ce côté du front, les Labs ne se résument qu’à une opération de communication visant à redorer le blason terni de la Haute Autorité, et font d’autant plus tiquer qu’ils réunissent en leur sein d’anciens “anti”, qui “ont compris que l’on devait travailler ensemble, car les questions du numérique sont devant nous”, déclarait il y a un mois Éric Walter au Figaro. Accusée de diviser pour mieux imposer ses vues sur le réseau français, la pieuvre Hadopi, ainsi que les experts soupçonnés d’être passés du côté obscur de la Force, se débattent pour prouver leur bonne foi.
“Désormais je suis un métis, je ne suis bien nulle part”
Labs, subtil plan com’ machiavélique ? Dans un éclat de rire, Éric Walter lance :
Pas du tout ! Vous pensez vraiment qu’on se donnerait autant de mal pour de la communication ? Nous n’en avons pas besoin ! Ce sont des fantasmes ! On bascule même dans le procès d’intention ! Où voyez-vous un plan de com’ ?
Il est vrai que la location de la Bellevilloise pour l’occasion, vestiaires et crêpes à l’appui -Chandeleur oblige-, venue succéder aux conférences blindées dans le sous-sol de la rue du Texel, ne fait pas du tout l’effet d’un coup savamment dosé. Les journalistes semblent d’ailleurs avoir senti le coup fourré, la plupart des habitués ayant boudé la présentation.
“Plus sérieusement”, tempère le secrétaire général, “il est absolument nécessaire de mener une vraie réflexion sur Internet en France, et de mettre du sens sur des concepts auxquels beaucoup, comme les parlementaires, ne sont pas familiers”.
Une ligne reprise par l’ensemble des experts, à commencer par les dissidents interceptés par la Hadopi. Jean-Michel Planche, président de Witbe et en charge du Lab “Réseaux et Techniques”, déclare ainsi “avoir deux objectifs : faire parler des gens qui n’ont pas l’habitude de parler ensemble et créer du sens”. Pour Bruno Spiquel, entrepreneur et auteur de Turblog, “expert associé” chargé de coordonner les échanges entre Labs, l’objectif est de “faire avancer les choses”. Sur leur blog respectif, les deux experts ont multiplié les billets (ici et là) justifiant les raisons de l’engagement au sein des Labs ; une adhésion qui leur a attiré les foudres d’une partie de la communauté en veille sur ces thématiques. Désormais, “on va guetter le moindre de nos faux pas”, lance Jean-Michel Planche, qui se définit désormais comme “un métis” :
Je ne suis bien nulle part.
Une “mascarade” d’indépendance ?
Leur engagement semble pourtant peu assuré et, si elle est actée, leur présence n’a elle rien de définitif. “Certaines critiques sont valables”, concède Bruno Spiquel.
La question de l’indépendance, en particulier, sans cesse remise sur le tapis. Comment croire en la neutralité d’experts recrutés et rémunérés à hauteur de 2 000 euros par mois par une institution ? La manoeuvre ressemble plus à une ouverture démagogique à la sauce Sarkozy, raillent certains, quand d’autres, comme la Quadrature du Net, la qualifie de “ridicule mascarade”, simple “campagne de communication contrôlée par l’Hadopi” et les “mêmes lobbies qui ont présidé à sa création.”
Que nenni, réplique la Haute Autorité, dont les mots d’ordre sont désormais “transparence” des travaux à venir et “accès libre et public” à tous les documents qui en découleront. Preuve désignée de sa bonne volonté, une “charte de déontologie des Labs Hadopi”, qui réaffirme pèle-mêle toutes ces valeurs. Problème : en matière réticulaire, les chartes ont très mauvaise presse, étant le signe moins d’une obligation que d’un simple arrangement cosmétique. Soupçon qui prend d’autant plus d’ampleur lorsque l’on apprend que le Collège de l’institution est “toujours libre d’adopter ou non, en tout ou en partie, les positions et études préparées par les Labs”. Retour fracassant du “peut mais peut ne pas”, qui semble indiquer, comme le souligne PCINpact, que malgré le recrutement d’experts au sein de la Hadopi, elle reste maîtresse en sa demeure.
Il était temps !
Un autre point difficile à avaler : pourquoi maintenant ? Avant de légiférer pour réguler certaines pratiques sur Internet, la Hadopi n’aurait-elle pas dû enclencher le remue-méninges ? Pour Éric Walter, qui explique que l’idée des Labs est survenue dans les premiers mois de vie de la Hadopi, cette éventualité était simplement impossible :
Réfléchir avant d’agir, c’est le travail des parlementaires. Quand elle a été créée, la Haute Autorité se voyait déjà attribuée d’une mission.
Si le timing est mauvais, voire complètement tourneboulé, difficile de refuser la parole après l’avoir autant réclamée, avancent les experts opposés à la loi Création et Internet. Ainsi, Jean-Michel Planche :
Sur le fond, on est assez nombreux à critiquer la façon de faire de la Hadopi et à dire que ses actions ne sont pas les bonnes, qu’elles ne vont pas dans le bon sens et qu’elle ne sont pas menées par les bonnes personnes. Aujourd’hui, on nous demande de réfléchir, pourquoi ne pas le faire ?
Pour certains néanmoins, la réflexion a été entamée bien en amont de la demande officielle : la laisser se faire phagocyter par la Hadopi devient donc inutile et dangereux, risquant ainsi de la voir complètement biaisée.
Qui mange qui et à quelle sauce ?
Les travaux des labo made in Hadopi s’ouvrent donc sous le feu des critiques ; “il nous faut des gilets pare-balles”, ironise Jean-Michel Planche. Est invité à y participer quiconque le désire, à condition d’exposer au préalable ses motivations en ligne et que celles-ci soient retenues, dans le cas du “membre rédacteur”, ou de s’engager à respecter la charte déontologique et à renoncer à l’anonymat, pour l’option “contributeur”. Pour tous les autres, il sera toujours possible de consulter le substrat sorti des cuves du laboratoire.
Un premier rapport d’étape est d’ores et déjà prévu en juin prochain, histoire de voir si la montagne a accouché d’une souris et d’analyser les conditions de la mise à bas.
Une certitude pour Jean-Michel Planche :
J’aborderai les sujets qui fâchent, comme la question du filtrage au cœur des maisons. J’ai confiance en l’humain qu’il y a derrière Hadopi ; au moins en son secrétaire général et en sa présidente. Et si la teneur de leurs discours venait à changer, je m’en irai et je ne serai pas le seul.
Ceux qui jouent la carte de l’optimisme ne croient pas en un tel retournement et assurent à l’inverse que ce sont les experts qui vont impacter la Haute Autorité… quitte à complètement la dénaturer. Chansons pour certains mais véritable espoir pour d’autres. Du côté de Turblog, Bruno Spiquel s’explique:
Bien sûr un certain nombre d’écueils devra être évité. Mais mon objectif est de sortir tout ça de la Hadopi, de faire en sorte que cette réflexion ne soit ni dépendante d’un Conseil, ni d’une Autorité Administrative Indépendante. Je veux un hack de l’intérieur.
Projet de piratage parfaitement assumé et même repris par la Hadopi, son secrétaire général déclarant “vouloir” cette démarche. Mais jusqu’où ? Un bouleversement complet de la Hadopi ? Voire même sa désintégration ?
Je ne sais pas, je n’écris pas l’avenir. Mais une transformation de l’intérieur est possible.
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PS : le titre, les intertitres et citations de cet article sont en Comic Sans MS, une police de caractère créée pour Microsoft en 1995 et destinée aux enfants. Normalement, il est très, mais alors très très mal vu, d’écrire en Comic Sans. Classée l’an passé par le Time comme l’une des pires inventions de tous les temps, le Comic Sans MS fait l’objet depuis 2002 d’une campagne de boycott, “Bannissez le Comic Sans”, initiée par des typographes pour qui cette police de caractère “représente clairement la voix de la naïveté infantile”. A OWNI, on s’est dit que c’était plutôt marrant, de fêter ainsi l’arrivée des Labs de L’Hadopi, en Comic Sans…
Illustrations CC FlickR: otisarchives2 Valerie Everett
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