Libertalia numérique
Internet reste et restera - sans doute - un espace où on trouve de tout et où le partage avec les uns avec les autres règne en maitre. Les échanges y sont quasi-incontrôlables et élargissent le champ du possible.
Internet est la possibilité d’une île. Un espace neutre sans représentation figée, sans régulation, sans frontières. Le lieu commun de toutes les libertés ; le repère volatile où, comme WikiLeaks aura su nous le démontrer, rien ne saurait être dissimulé. Il est la possibilité d’une évasion au milieu du système. Une Zone Autonome Temporaire, éphémère et permanente ; sauf-conduit où transitent sans censure les discussions sulfureuses de 4Chan ; où cohabitent les égos et les idéaux sans besoin de les codifier ; où se bâtissent des projets et des utopies à la seul force de l’envie et de l’enthousiasme.
Un espace qui fait peur au pouvoir
Alors évidemment Internet est une cible. Toutes les politiques sécuritaires, qu’elles soient de gauche comme de droite, du Nord comme du Sud, vous le diront. Ce terrain vague numérique où coexistent toutes les idées, toutes les aspirations et toutes les velléités est un danger pour la sécurité des États et des peuples nous dit-on. Car y circulent librement les informations, hors de tout contrôle. N’importe quel abruti de quinze ans un peu dégourdi peut se déclarer hacker, rejoindre un groupement de terroristes numériques qui se fait appeler “Anonymous” et prétendre défendre la liberté d’expression. Vous imaginez le foutoir ?
Comme cette situation s’avère être dangereuse pour l’ordre mondial, et par conséquent inacceptable, partout Internet se doit d’être bridé, limité, et minutieusement observé. Tous les paquets suspects seront tracés, analysés pour votre sécurité. En Chine, des salariés sont rémunérés pour s’adonner à la censure des sujets “sensibles” ; en France, la loi autorise le pouvoir à injecter des données espionnes sur le réseau. A l’instar de ce qui se passe dans le monde “réel”, le système voudrait obtenir le contrôle de ce nouveau monde dématérialisé où la liberté d’expression n’est pas un mot vain, pouvoir choisir ce qu’il s’y entend, ce qu’il s’y échange et ce qu’il s’y dit.
Parce qu’elle est un espace de liberté où ne siègent ni lois, ni codes moraux, ni assemblée décisionnelle, cette île numérique devient une cible. Le succès du réseau lui vaut de s’attirer les foudres de ce monde autour qui, bien que régit par l’ordre, les systèmes, et la diplomatie, ne parvient pas lui-même à trouver la paix des idées. Au final, Internet souffre de ce qu’on veuille le comparer toujours aux recettes et aux mécanismes qui ont fait l’Histoire de l’humanité passée. L’omniprésence et la permanence libertaire permise par le miracle du web enfreint toutes les règles jusque-là établies et offre le choix à tout un chacun d’y bâtir son univers.
Internet est insondable. Nous n’en voyons finalement, comme de l’iceberg consacré, que la partie émergée. Un espace uniforme composé de quelques services leaders, et une foule d’individualités greffées sur, ou au sein, de ceux-ci. Google, Facebook, Twitter, MSN, Ebay, comme Michael Jackson ou John Wayne, sont des marques qui ont su s’imposer dans les esprits des deux milliards de personnes connectées quotidiennement au web en 2010.
Incontrôlable par essence, c’est un média ubique entre les êtres humains, où tout un chacun peut à loisir se répliquer, se volatiliser et réapparaître. Il permet la multiplicité des formes et des supports pour de mêmes messages. Laissant cohabiter de la fiction écrite par des fans de Justin Bieber pour assurer la gloire de leur idole, avec l’ensemble des cours sur la Grèce antique dispensés dans la célèbre université américaine de Princeton en passant par la formule permettant de fabriquer du Napalm. On trouve de tout sur Internet, sans distinctions morales, sans classement par ordre d’importance, et dans toutes les langues.
Un nouveau système de pensée
Il est la possibilité d’une véritable liberté, réussissant là où tous les autres modèles ont échoué : l’auto-régulation. Car contrairement aux idées reçues, si la liberté sur le web n’est pas l’absence de contraintes, elle correspond beaucoup plus à la création et la réinvention perpétuelles des codes qui le régissent. Internet se compartimente spontanément, laissant tout le loisir des extrêmes à 4Chan, des interactions sociales à Facebook, et du partage du savoir à Wikipedia. Sans tyrannie aucune, si ce n’est celle du bien commun, si bien décrite finalement par la célèbre marque de fabrique de Google : “Don’t do evil”. Il trie, compartimente et range les informations, les personnalités et les collaborations selon ses propres modèles, en perpétuelle réinvention.
Sur Internet tout s’invente, même la liberté. Alors nécessairement, la tentation est forte d’y apposer les lois, les règles, les diktats de notre chère troisième dimension. Mais tout s’y oppose naturellement parce qu’Internet est plus qu’un réseau : il est un nouveau modèle de pensée, un système qui n’aspire pas au contrôle mais plutôt à l’ouverture à l’échange universel. Les règles y apparaissent et y disparaissent sans remords, sans besoin d’une action extérieure et explicite, ne répondant qu’au besoin d’évolution et de préservation de cette “société alternative”.
Finalement, Internet, c’est la possibilité d’une île. D’un delirium libertaire ici et maintenant. Un banc de terre perdu sur un océan d’identités, de différences et de conflits, qui comme ses alter-egos de la troisième dimension se trouvent menacées par la bêtise humaine, les raccourcis et l’avidité. Internet c’est la preuve que d’autres idées et d’autres mondes sont possibles, si on se donne une chance de les envisager comme autant d’îles.
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Billet publié initialement sur Mon écran radar sous le titre Internet ou la possibilité d’une île
Illustrations Flickr CC Leonard John Matthews, Matt Westervelt et Guineves
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