La performance du FN piège les partis républicains
Que retenir du premier tour des élections cantonales? Si la forte abstention rend difficile les conclusions définitives, une chose reste certaine: le bon score du FN place les républicains dans l'embarras.
Les absents ont toujours tort. La règle vaut aussi en matière électorale. Une majorité de Français appelés dimanche aux urnes pour le premier tour des cantonales a manqué à l’appel. Le taux d’abstention, de 55,6%, a battu tous les records pour ce type de scrutin. Mais saluons aussi le civisme de la petite moitié du corps électoral qui a participé à une compétition négligée par la plupart des médias et privée d’enjeux palpables…
Plutôt que de faire parler des abstentionnistes dont le message est, par définition, assez confus, écoutons donc ces courageux électeurs. Leur vote exprime l’état d’esprit de la partie politiquement la plus mobilisée de la population. Une indication qui n’est pas négligeable à un an de l’élection présidentielle de 2012 où le camp le plus vaillant disposera d’un avantage décisif.
Effondrement de l’UMP
L’identité du principal perdant de ce premier tour ne fait aucun doute. Tout l’art des additions du ministre de l’Intérieur n’y changera rien : le parti présidentiel essuie un échec humiliant. Avec 17,1% des suffrages exprimés, les candidats de l’UMP enregistrent un résultat exceptionnellement faible pour un parti au pouvoir. La chute est d’environ quatre points par rapport au premier tour des cantonales de 20041 . L’électorat populaire l’a quitté. Au total, la droite modérée doit se contenter de 31,9% des voix, ce qui n’a rien de glorieux et augure mal, pour elle, des prochaines échéances.
Le froid verdict des chiffres est également sévère pour le Modem qui ne recueille que 1,2% des suffrages, soit une baisse de trois points par rapport au score de l’UDF d’il y a sept ans. Dans un contexte de très vive hostilité à l’encontre du pouvoir, le résultat du principal parti d’opposition n’est pas non plus très glorieux. Avec 25% des voix, le PS ne retrouve pas, à un point près, son résultat de 2004. La performance n’est pas fameuse pour ce parti d’élus généralement à l’aise dans les élections locales. Mais le Front de gauche s’en tire un peu mieux avec 9% des voix (plus un point).
Les socialistes ont vraisemblablement subi la concurrence de candidats écologistes à l’offensive. Rassemblant 8,3% des suffrages exprimés, ceux-ci progressent de quatre points au regard du scrutin de référence. Mathématiquement, ce sont les écologistes – qui ont pu être portés par le contexte du drame nucléaire japonais – qui apparaissent comme les premiers vainqueurs de ce scrutin. Politiquement, c’est autre chose. Le Front national ne gagne, lui, que trois points mais son score national de 15,2% représente un succès qui ne doit pas être sous-estimé. Soulignons que ce progrès est mesuré par rapport à sa performance aux cantonales de 2004, lorsque le FN était porté par son succès du 21 avril 2002. Aux cantonales de 2008, ce parti n’avait recueilli que 4,8% des voix. C’est dire si le redressement est vigoureux.
Un Front nationalisé
Parti encore mal organisé, le FN n’était présent dimanche que dans 71% des cantons. Son score national est énorme pour une formation totalement dénuée d’implantation cantonale. L’extrême droite ne dispose d’aucun conseiller général sortant. Là où il participait à la compétition, son pourcentage est d’environ 20% des suffrages exprimés. Cela ne signifie pas que son audience nationale est d’un tel niveau dans la mesure c’est généralement dans ses zones de faiblesse que le FN n’avait pas réussi à présenter de candidat.
Ses résultats n’en sont pas moins impressionnants dans des régions qui étaient autrefois des terres de mission pour l’extrême droite. C’est le principal enseignement du scrutin de dimanche. Le vote frontiste s’est désormais largement nationalisé, avec des avancées notables dans une France rurale qui a cessé d’être paysanne pour héberger une large fraction des classes populaires2 .
Les départements traditionnellement modérés et conservateurs de l’Ouest, naguère rétifs aux séductions lepénistes, accordent ici ou là de beaux résultats au FN. Dans le canton rural d’Allonnes, en Maine-et-Loire, son candidat obtient ainsi 22,7% des voix. Citons encore le canton de Château-la-Vallière en Indre-et-Loire (21,1%) ou celui de Sainte-Mère-l’Eglise dans la Manche (22,3%). En Ile-et-Vilaine, ce parti n’était présent que dans un quart des cantons. Mais dans deux cas sur six, il a réussi à être qualifié pour le second tour.
Le FN retrouve encore des couleurs dans ses bastions un moments perdus. A Vitrolles (Bouches-du-Rhône), son candidat est en ballottage contre celui du PS avec 28,2% des voix. Il est en tête à Nice 10 (Alpes-Maritimes) avec 33,7%. Même position à Calais-centre (Pas-de-Calais) où son score est de 26,9%. Le Front de Marine Le Pen ne retrouve pas l’audience de celui de son père en Seine-Saint-Denis même s’il se redresse là aussi. Mais il cartonne dans la France pavillonnaire de la Seine-et-Marne. Dans le département de Jean-François Copé, le FN devance à la fois l’UMP et le PS. Il enregistre aussi des résultats flatteur dans les régions en proie à la désindustrialisation du nord-est de la France. A Saint-Dizier-Ouest (Haute-Marne), ville en lutte contre le déclin démographique, le candidat frontiste culmine à 38% des voix. C’est toute une partie de la France qui souffre3 qui regarde aujourd’hui du côté du Front national.
Le dilemme du « front républicain »
Arrivé en tête dans 39 cantons, le FN sera présent au second tour dans pas moins de 399 compétitions. Ces duels insolites, qui opposeront dans la moitié des cas une candidat d’extrême droite à un socialiste, posent de redoutables problèmes à la classe politique.
Pour être parée de vertus morales, la stratégie dite de « front républicain » (appels de la droite ou de la gauche à voter pour son adversaire face au FN) n’est pas sans inconvénients. Elle offre, en effet, à la formation lepéniste un avantage symbolique de poids : celui de pouvoir faire la démonstration qu’il est le seul véritable adversaire de partis de gouvernement finalement complices. L’argument de l’union sacrée anti-fasciste perd quelque peu de sa force de conviction dés lors que Marine Le Pen prend soin d’éviter le dérapages sulfureux de son père et tient un discours qui n’est pas celui de l’extrême droite traditionnelle.
Le refus de l’UMP de choisir la stratégie du « front républicain » ne s’explique toutefois pas principalement par ce type de considérations. Le parti sarkozyste est d’abord soucieux de ne pas se couper d’électeurs frontistes dans la perspective de la prochaine compétition présidentielle. Le président sortant escompte visiblement un bon reports des voix du FN au tour décisif. D’où l’impératif de ne pas braquer cette partie du corps électoral. Les socialistes ne sont pas prisonniers de pareils calculs. Ils ont, à l’inverse, tout intérêt à défendre une ligne qui isolerait la droite de son extrême.
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>> Illustrations CC flickr Clementine Gallot ; staffpresi_esj
- Il faut comparer ce qui est comparable, et donc les cantonales de 2011 avec celles de 2004 qui s’étaient déroulées dans les mêmes cantons (une moitié environ de la France électorale). [↩]
- Voir Christophe Guilluy (Auteur), Christophe Noyé (Auteur), Dominique Ragu (Cartographer), « Atlas des nouvelles fractures sociales en France ; Les classes moyennes face à la mondialisation : la tentation du repli », éditions Autrement, 2006. [↩]
- Qu’on me permette de faire référence à mon dernier livre « Voyages en France – La fatigue de la modernité » (Seuil, 2011). J’ai rencontré un grand nombre de Français qui se sentent abandonnés et incompris. [↩]
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