Srdja Popovic communique la révolution

Le 24 mars 2011

Yougoslavie, 1998. Un groupe d'étudiants fonde OTPOR (Résistance en Serbe). Aujourd'hui, le logo du groupe ressurgit dans les rues du Caire, après avoir transité en ex-URSS. Portrait de son fondateur Srdja Popovic, reconverti dans l'enseignement de la non-violence.

Un poing serré sur fond noir. Derrière ce symbole, exhibé en Égypte ces dernières semaines après l’avoir été en Géorgie, en Ukraine et en Serbie, une voix grave et sûre d’elle-même. Celle de Srdja Popovic, fondateur d’OTPOR et actuel directeur du Centre for Applied Non-Violence And Strategies (CANVAS), passé de l’activisme à l’enseignement de la lutte non-violente.

Fin octobre 1998, il fonde OTPOR, “résistance” en Serbe, avec une quinzaine d’autres amis. Le groupe rassemble des étudiants en lutte contre la dictature de Milosevic. Popovic a 25 ans. Il n’en est pas à son coup d’essai.

Back to Yougoslavia, 90s

Srdja est né en 1973 dans une famille de journalistes. Son père et sa mère travaillent pour la télévision nationale yougoslave. Fier, il rappelle que son père a été blessé sur un champ de bataille pendant la guerre du Liban, qu’il est le seul journaliste yougoslave à avoir rencontré des leaders de premier plan de l’IRA, le groupe armé indépendantiste irlandais.

Srdja Popovic s’engage tôt en politique, après un bref détour par la musique : deux albums et quelques concerts parce que “c’était la façon d’être branché” résume aujourd’hui Popovic l’enseignant établi. Le 9 mars 1991, quand 100 000 opposants descendent dans la rue pour dénoncer le régime de Slobodan Milosevic, il découvre la politique. Et la répression sanglante. Il est alors au lycée mais décide de s’enrôler dans le parti démocrate. Fin de l’acte I, la vie bohème d’un jeune yougoslave de la classe moyenne intellectuelle.

Commence une période d’engagement politique actif au sein des institutions. Après la guerre, il est le plus jeune élu de l’assemblée municipale de Belgrade en 1996, au terme d’une “élection volée” précise-t-il, quinze ans après. Pendant l’hiver 1996-1997, l’opposition serbe défie le pouvoir lors de manifestations quotidiennes. Il y participe et découvre le militantisme de rue, s’essaie aux happenings qui feront le succès d’OTPOR quelques années plus tard.

On se foutait de la gueule du gouvernement, on jouait au chat et à la souris avec la police, on posait pour les journalistes.

Capter l’attention médiatique, utiliser les ressorts de la communication : les bases d’OTPOR sont posées.

OTPOR est une alliance savante des théories de la résistance non-violente et des techniques modernes de communication bien rôdées. Les membres d’OTPOR ne vont pas à l’affrontement, ils ridiculisent les forces de sécurité. Comme avec l’opération “un dinar pour un changement” lancée en novembre 1999. Sur un tonneau en ferraille est collée une photo de Milosevic. Les passants sont invités à frapper la cible avec un bâton, en échange d’un dinar. La performance plaît. La police est obligée d’intervenir, et arrête le tonneau en l’absence des organisateurs, fondus dans la foule. Popovic, dans un entretien accordé à OWNI :

Au moment de lancer OTPOR, nous avions déjà une énorme expérience de la lutte non-violente.

Baigné de non-violence

Pendant deux ans, OTPOR lutte contre Milosevic. Premier ingrédient : se doter d’un logo très graphique que tout le monde reconnaît d’un coup d’oeil. Nenad Petrovic, connu sous le pseudo de Duda, propose le poing serré sur son fond noir. Banco. Il est graphique, facile à reproduire sur les murs avec des pochoirs, symbolise l’activisme en faisant un pied de nez aux mouvements fascistes qui tendent le bras et la main. Très efficace, donc. Le mouvement croît rapidement. En témoigne la répression qui s’abat sur lui. Srdja Popovic est arrêté le 15 décembre 1998 pendant quelques heures. La nouvelle se répand très vite via Internet. Les organisations de défense des droits humains font pression et obtiennent sa libération. La force du réseau, déjà.

Deuxième ingrédient : la non-violence. OTPOR se fait le chantre des idées de Gene Sharp, théoricien américain de la lutte non-violente et auteur de l’ouvrage De la dictature à la démocratie, traduit en 25 langues. Sans refuser le rapprochement avec cet idéologue, Srdja Popovic précise d’emblée qu’il était imprégné par le pacifisme depuis longtemps :

Tito, le président de la Yougoslavie, faisait partie du mouvement des non-alignés pendant la guerre froide, tout comme l’Inde. On a été exposé aux idées de Gandhi depuis notre plus jeune âge, ça faisait partie de notre éducation.

Gene Sharp reste un inconnu jusqu’en 2000. Deux mois avant la chute de Milosevic, Robert Helvey, co-auteur et co-théoricien de la lutte non-violente avec Sharp, vient en Serbie pour professer son savoir. Helvey, c’est un peu l’ombre de Gene Sharp. Le premier se cache, l’autre se montre. Colonel de l’armée américaine à la retraite, il est envoyé à Belgrade par l’International Republican Institute, une fondation liée au parti conservateur américain. “L’expérience a été décisive” expliquait Srdja en 2005 à Manon Loizeau, auteure du documentaire “États-Unis, à la conquête de l’Est”. Aujourd’hui, il insiste sur la période Gandhi et auto-formation des années 1990. Comme pour anticiper d’autres questions qu’ils n’aiment pas. Comme pour répondre à ceux qui ont montré les liens étroits qu’il entretenait avec les programmes de démocratisation du gouvernement américain. Srdja, grand blond au visage aiguisé, maîtrise aujourd’hui sa communication.

L’Américain ?

Helvey n’a pas seulement aidé OTPOR à triompher, il en a aussi fait un diffuseur de ses théories. Le triptyque mouvement étudiant/marketing/non-violence surgit au début des années 2000 en Géorgie, en Ukraine et au Kirghizstan. À chaque fois, le scénario est le même. Un groupe d’étudiant choisit une couleur ou un symbole et porte la contestation non-violente.

L’ombre d’OTPOR plane au-dessus de ces révolutions de couleur. Popovic n’était pas loin. Il avait donné un stage en Ukraine en 2004.

Entre temps, il a créé un centre de formation, le Centre for Applied Non-Violence and Strategies. L’idée lui est venue en 2003 après un séjour en Afrique du Sud. Il y formait des Zimbabwéens en lutte contre Robert Mugabe, pur produit des dictatures post-coloniales africaines.

On a réalisé que la révolution non violente serbe était une marque internationale très puissante, bien plus puissante qu’on ne l’avait imaginé.

La décision est prise : il se consacre à l’enseignement et abandonne sa vie politique. Il démissionne de son poste de député du parti démocrate en 2004. CANVAS est créé avec Slobodan Djinovic, un ancien d’OTPOR qui a fondé l’un des premiers fournisseur d’accès internet (FAI) serbes en 2000.

CANVAS attire l’attention. Derrière le poing noir se cache bien souvent des financements américains. Dès 2000, Roger Cohen, journaliste au New York Times révélait les financements américains d’OTPOR [en], via le National Endowment for Democracy (NED) lui-même financé par le Congrès. Lors du sommet États-Unis-Russie de Bratislava en 2005, George Bush rend hommage aux leaders des mouvements étudiants victorieux, assis à la tribune d’honneur. Srdja Popovic était présent.

Le communicant

L’internationale de la lutte non-violente a fait long feu. Popovic est aujourd’hui prudent quand il évoque les autres révolutions, surtout depuis la chute d’Hosni Moubarak. Après cinq ans de discrétion, le poing serré d’Otpor est réapparu dans les rues du Caire. Popovic avait bien suivi la révolution avortée du Safran en Birmanie en 2007, mais elle n’avait pas triomphé de la junte au pouvoir.

Avec un discours bien construit digne d’un communiquant gouvernemental, il explique que “les médias nous ont accordé trop d’importance, 100% du crédit doit revenir aux Égyptiens“. Mohammed Adel du Mouvement du 6 Avril joue un rôle de premier plan dans la révolution en février. Il a suivi un stage au CANVAS pendant l’été 2009. Popovic est “fier” de leur succès, “les suit avec beaucoup d’intérêt” et rejette préventivement les accusations d’interférence :

Notre propre expérience nous a appris que les intrusions étrangères faisaient partie du problème, pas de la solution.

Circulez, il n’y a rien à voir.

Même concision sur les sources de financement. Srdja Popovic affirme recevoir uniquement des fonds privés. Sa voix a toujours la même assurance, le ton grave légèrement fissuré par une pointe d’énervement contenu.

Nous n’acceptons pas de financements gouvernementaux ou liés à des gouvernements.

En vrac, il cite l’OSCE, le PNUD, Amnesty International. Plus de quinze ONG à travers le monde qui l’invite à donner des conférences. Et Freedom House, une ONG financée par le gouvernement américain. Une faille dans le discours du communicant ?

Crédits Photo CC : Wikimedia Commons Le serbe // FlickR mr.beaver / Lincolnian (Brian) – BUSY / padwilks

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