Les télécoms perdent toute autorité
Hier matin, le régulateur des télécoms a tenu sa conférence de rentrée. L'occasion de poser les questions qui fâchent sur la neutralité des réseaux et l'éventuelle fusion des autorités administratives en charge d'Internet. Questions systématiquement renvoyées à la dépendance au politique.
Entourés de quelques lieutenants, le patron de l’Autorité de Régulation des Communications Électroniques et des Postes (Arcep), Jean-Ludovic Silicani, a été assez bref dans son exposé relatif à la neutralité des réseaux. Le point, abordé en conclusion de la présentation, représente pourtant aux dires de ce dernier “la moitié du travail du régulateur sur les deux années à venir”. Un chantier considérable, dont Jean-Ludovic Silicani a tout de même rappelé l’importance : “c’est l’avenir des communications électroniques qui est en jeu”.
Qualité de service : l’Arcep n’a “pas choisi”
Sur le fond, deux volets ont été présentés : “le suivi de la qualité du service d’accès à l’Internet” et la “collecte régulière d’informations sur les conditions techniques et tarifaires d’interconnexion et d’acheminement des données”. Ils font suite à la publication par l’Arcep de dix propositions sur la neutralité des réseaux, en septembre 2010.
Concernant la qualité de service de l’accès à Internet, qui consiste à prendre le pouls du réseau français et à en évaluer les performances, OWNI s’interrogeait dès septembre (voir “Les opérateurs juges et parties du net”, “L’Internet illimité au purgatoire” et “Free, SFR, Orange et Bouygues en autocontrôle“) sur les enjeux et les risques d’un tel chantier. En particulier sur le fait de confier aux opérateurs la responsabilité du choix du prestataire externe qui sera en charge des mesures. À la question de savoir si une telle orientation ne risquait pas de biaiser d’emblée le résultat de cet observatoire du net, qui vise précisément à apprécier la qualité des prestations des gros opérateurs (disposant de plus de 100 000 clients), Jean-Ludovic Silicani botte en touche. Il explique que l’Arcep n’a “pas choisi” de confier cette responsabilité aux opérateurs, mais qu’elle s’est contentée de “respecter le décret” qui prévoit la mise en place de ce chantier. En effet, selon l’article D98-4 d’un décret d’application du Code des postes et des communications électroniques :
L’opérateur mesure la valeur des indicateurs de qualité de service définis par l’Autorité de régulation des communications électroniques.
Le patron de l’Arcep poursuit en expliquant que “pour les paramètres techniques, une définition précise sera donnée” et que le régulateur se garde le droit de “demander qu’un second prestataire vérifie que les méthodes de mesure ont bien été suivies”. Reste à savoir qui définira ces paramètres techniques, ainsi que la nature du second prestataire en charge des mesures de contrôle. Sur le premier point, un document de travail (voir image ci-dessous) indique bien que les paramètres, ou “référentiel commun”, seront définis “par l’Arcep et les opérateurs”. Le patron de l’Arcep assure néanmoins du contraire, précisant que “plusieurs acteurs” seront associés à la réflexion. Quant à la charge de la mesure de contrôle, il rétorque que cette contrainte relève également du décret d’application. Sauf erreur de notre part, cette précision ne figure pas dans le décret en question.
Visiblement agacé par la question, Jean-Ludovic Silicani a déclaré : “si le prestataire fait n’importe quoi, alors on le saura. L’auto-responsabilité des entreprises existent dans ce pays”, ajoutant que le régulateur faisait “confiance aux opérateurs”, sans pour autant “exécuter leurs ordres”. Et de conclure, en tâclant au passage le pouvoir politique :
Nous appliquons la loi. Si les parlementaires veulent attribuer plus de pouvoir à l’Arcep, ils doivent le prévoir !
La Fusion ? “Une question à l’intérêt mineur”
Autre question qui fâche : celle de la fusion des autorités administratives en charge des questions relatives à Internet. Arcep pour les “tuyaux” d’Internet, CSA pour les contenus audiovisuels, Hadopi pour le statut des oeuvres culturelles sur Internet. “Une question à l’intérêt mineur” pour Jean-Ludovic Silicani, qui s’est pourtant épanché sur les implications d’un tel scénario. “La question n’est pas tant la fusion, mais quelle régulation on souhaite”, a-t-il expliqué. Mettant en parallèle la régulation “très forte” qui prévaut au CSA, et celle “très légère” pour les questions Internet traitées au sein de l’Arcep, il a également abordé le sort en suspens des contenus audiovisuels sur Internet. Jean-Ludovic Silicani a aussi déclaré que s’il fallait fusionner des autorités telles le CSA et l’Arcep, il faudrait également envisager la “fusion des ministères” en charge de la Culture et du numérique, ainsi que les lois et codes qui régissent ces secteurs. A l’aube de la campagne présidentielle, la rivalité entre les deux secteurs culturels et numérique pour prendre en charge les problématiques du net est un point clivant, tant à l’UMP qu’au PS.
La conférence de presse a surtout été l’occasion pour l’Arcep de dresser l’état des lieux du marché des communications électroniques, fixes et mobiles. Sur le mobile, Jean-Ludovic Silicani a salué l’arrivée de Free, tout en se montrant prudent : “une offre c’est un prix et un service. La proposition de Free sur le prix est très concurrentielle. Il faut maintenant voir quel type de services Free offrira, notamment sur le service après-vente, sur lequel il est très attendu”. Il a également tenu à “tordre le cou à l’idée selon laquelle le secteur du mobile serait saturé ou mature”, se réjouissant notamment de “l’appétence des opérateurs pour la 4G”. Sur le fixe, les derniers chiffres des abonnements au haut débit et très haut débit ont été donnés. Le déploiement en très haut débit a été rapidement abordé. Le détail des chiffres est disponible dans le dossier presse [PDF] de l’Arcep.
Crédits photo : © Dominique Simon
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