Sarkozy recalcule
Le candidat de l'UMP estime que les collectivités locales ont trop recruté de fonctionnaires ces dernières années, chiffres à l'appui. Sauf que ces derniers sont faux. Au classement de la crédibilité des candidats mesurée par Le Véritomètre d'OWNI-i>TÉLÉ, Marine Le Pen reste à la dernière place tandis que François Hollande essaye de disputer à Eva Joly la tête de la compétition.
Ce lundi 12 mars à 20 heures, Marine Le Pen conserve sa place en fin de classement de l’indice de crédibilité du Véritomètre, permettant de vérifier l’exactitude de toutes les déclarations chiffrées des candidats. Eva Joly tient toujours le haut du pavé avec 66,4 %.
Au cours des dernières 72 heures, l’équipe du Véritomètre a vérifié 67 citations chiffrées des candidats à la présidentielle1. Résumé des principaux éléments.
Les transferts oubliés de Nicolas Sarkozy
Pour réduire les dépenses publiques, l’UMP a identifié une importante variable d’ajustement2, considérée comme très dépensière en termes de ressources : les collectivités locales.
Dans l’émission “Des paroles et des actes”3 sur France 2, Nicolas Sarkozy évoque particulièrement les régions et les intercommunalités.
Les régions, entre 1998 et 2010, sans aucun transfert de compétences, aucun, ont créé 175 % d’effectifs en plus (…) Les intercommunalités, sur la même période, sans une compétence supplémentaire, ont créé 174 % d’effectifs en plus.
En utilisant cette formulation, Nicolas Sarkozy oublie un détail : la loi relative aux libertés et responsabilités locales du 13 août 2004.
Présentée comme “l’Acte II de la décentralisation”, cette loi prévoit le transfert aux collectivités locales d’un nombre important de compétences. Les Régions deviennent l’autorité responsable notamment de la politique régionale d’apprentissage et de formation professionnelle des jeunes et des adultes ; de la construction, l’entretien, l’équipement et le fonctionnement des lycées ou encore l’organisation des services de transport routier non urbain des personnes et des transports ferroviaires de la région.
Même état des lieux pour les structures intercommunales. De plus, outre les compétences transférées officiellement par l’Etat à ces regroupements de communes, nombreuses sont les intercommunalités qui prennent de nouvelles compétences à leur charge à la demande des communes comme la collecte et traitement des déchets ménagers, la gestion de structures culturelles à rayonnement régional ou encore les aides au développement économique.
Avec une telle évolution, guère étonnant que les effectifs des Régions aient explosé : selon la DGAFP et l’Insee, ils passent de 9 468 fonctionnaires en 1998 à 11 498 au 31 décembre 2005 et même 78 618 au 31 décembre 2009. Soit une augmentation de 730 % du nombre de fonctionnaires. Un nombre bien supérieur au chiffre évoqué par Nicolas Sarkozy.
L’annexe du projet de loi de finances pour 2011 sur l’état de la fonction publique et les rémunérations évalue, pour la seule période 2005-2008, à 74 % la part de nouveaux effectifs liés à ces transferts de compétences – 62 % en transferts de personnel et 12 % en nouveaux recrutements pour faire face à ces besoins.
Les propos de Nicolas Sarkozy sont donc doublement incorrects : il y a bien eu un grand nombre de transferts de compétences, et ces derniers sont responsables de près des trois quart des augmentations d’effectifs.
Même constatation pour les effectifs des intercommunalités : non seulement l’augmentation des effectifs est de 138,5 % et non de 174 % comme évoqué par Nicolas Sarkozy (selon le rapport annuel sur l’état de la fonction publique 2010 – 2011) mais, de plus, aucune évaluation n’a été faite pour les intercommunalités pour savoir si cette augmentation est imputable ou non aux “compétences supplémentaires” – bien réelles, n’en déplaise au chef de l’Etat.
Le bilan personnalisé de Nicolas Sarkzoy
L’émission “Des paroles et des actes” était également l’occasion pour le Président-candidat de faire le bilan des mesures de son quinquennat : une centaine de citations chiffrées ont été relevées par l’équipe du Véritomètre.
Or les chiffres avancés par Nicolas Sarkzoy sur son propre bilan sont assez aléatoires : des justesses, des imprécisions, mais aussi des incorrections.
Ainsi, le candidat de l’UMP maîtrise les données sur les heures supplémentaires :
Neuf millions de personnes ont eu leur pouvoir d’achat qui a augmenté [avec la défiscalisation des heures supplémentaires]
D’après le Projet de loi de finances de la Sécurité sociale pour 2012, 9,4 millions de salariés ont bénéficié de la mesure de défiscalisation des heures supplémentaires en 2010 en France.
Son estimation de la réforme du Crédit impôt recherche est également exacte :
Le Crédit impôt recherche, 4 milliards et demi d’investissements dans la recherche en plus
D’après le bilan du Crédit impôt recherche (CIR) 2009 publié par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche le 7 février 2012, le montant total du CIR s’est élevé à 4,726 milliards d’euros en 2009. Par comparaison, ce montant atteignait 1,7 milliards d’euros en 2007, selon le bilan du CIR 2007.
Par contre, Nicolas Sarkozy est beaucoup moins à l’aise sur la suppression de la taxe professionnelle :
[la suppresion de la taxe professionnelle représente pour les entreprises] six milliards de moins [d'imposition].
Dans son rapport sur le projet de loi de finances rectificative pour 2011 daté de novembre 2011 présenté à l’Assemblée nationale, le rapporteur du Budget, Gilles Carrez explique que le gain de la réforme de la taxe professionnelle pour les entreprises (écart entre ce qu’elles payaient avec la taxe professionnelle et ce qu’elles payent actuellement avec la Contribution économique) était de 7,3 milliards d’euros en 2011, après 9,2 milliards constatés en 2010.
Ces années sont considérées comme des années de transition, cependant le rapport précise que “Sur cette base, le coût de la réforme en régime de croisière, détaillé dans le tableau suivant, atteindrait 6,8 milliards d’euros”.
Même incorrection sur la réforme des tribunaux :
Aujourd’hui, nous avons 785 tribunaux, lorsque je suis devenu Président, il y en avait 1 290.
Or les chiffres clés 2011 du Ministère de la Justice indiquent 1 180 juridictions pour l’ordre judiciaire et l’ordre administratif.
Eva Joly confortable sur l’IVG
La première candidate à évoquer des chiffres sur l’IVG4 n’aura étonnament pas été Marine Le Pen, mais Eva Joly, invitée de la Matinale d’Europe 1 lundi 8 mars.
Elle cite deux chiffres sur l’avortement :
Le coût forfaitaire d’ une IVG, c’est quelques centaines d’euros (…) je pense que c’est remboursé à 100% pour beaucoup.
Pour le coût forfaitaire, la candidate d’Europe-Ecologie-Les Verts est dans le juste : un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales de 2009 indique un montant de 70 millions d’euros par an pour 233 200 actes effectués. Soit un coût moyen de l’IVG autour de 295,88 euros, conforme à l’ordre de grandeur, évoqué par Eva Joly.
Par contre, ce même rapport évoque un taux de prise en charge par la sécurité sociale variant entre 70 % et 80 % en fonction du type d’acte effectué, invalidant les propos de la candidate.
Jean-Luc Mélenchon devise sur les grandes fortunes
Dans son discours de Rouen du 6 mars dernier, Jean-Luc Mélenchon évoque la litanie des grandes fortunes françaises exilées en Suisse :
la famille Peugeot réfugiée en Suisse avec ses deux milliards de fortune” [...] “la famille Lescure, premier actionnaire de Moulinex Seb, deux milliards de fortune” [...] “aux frères Wertheimer, propriétaires de Channel, cinq milliards de fortune” [...] “à la famille Castel, premier groupe français de boisson, cinq milliards de fortune” [...] “A la famille Bic, premier actionnaire du groupe Bic, deux milliards de fortune.” [...] “la famille Deforêt-Fournier, fondateur du groupe Carrefour, [...] avec une fortune de un milliard
Cependant, à aucun moment, le candidat du Front de gauche ne précise quelle est la devise de ces montants énumérés… Dans son dossier annuel sur “les 300 plus riches de Suisse”, le magazine économique suisse Bilan énumère la totalité de ces six familles, avec les mêmes chiffres que ceux de Jean-Luc Mélenchon. Mais en Francs suisses.
Jean-Luc Mélenchon cite donc des données exactes s’il parle de franc suisse, faux s’il évoque des euros… Le reste du discours du candidat du Front de gauche s’étant déroulé en euros, il y a peu de chance qu’il ait changé de billets.
Les vérifications des interventions sont réalisées par l’équipe du Véritomètre : Sylvain Lapoix, Nicolas Patte, Pierre Leibovici, Grégoire Normand et Marie Coussin.
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Illustrations de Loguy pour Owni /-)
- L’équipe du Véritomètre a fixé des seuils de tolérance pour l’évaluation des chiffres des candidats : si la marge d’erreur entre le chiffre évoqué par le candidat et la donnée officielle disponible est comprise entre 0 et 5 %, nous considérons la citation comme “correcte” ; si la marge est entre 5 et 10 % on la qualifiera d’”imprécise”, enfin si la marge est de plus de 10% nous l’évaluerons comme “incorrecte” [↩]
- le programme disponible sur le site de l’UMP précise ainsi : “Nous demanderons aux collectivités locales d’engager la même démarche de modernisation des politiques publiques et de l’organisation du travail que celle conduite par l’État depuis 2007. Nous modulerons les concours financiers de l’État en fonction des efforts réalisés” [↩]
- retrouvez l’intégralité de la vérification de cette émission très prochainement sur le Véritomètre [↩]
- dans les interventions vérifiées par l’équipe du Véritomètre [↩]
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