Cnil qui rit, Cnil qui pleure
Elle a du boulot, de plus en plus, mais les moyens ne sont toujours pas à la hauteur : les années passent mais le rapport annuel de la commission chargée de veiller à l'application de la loi "Informatique et Libertés" de 1978 n'évolue guère sur son constat de fond.
Un jour, la Cnil aura le beurre et l’argent du beurre : des missions élargies ET des moyens augmentés en conséquence. Car pour l’heure, si elle se félicite de voir son champ agrandi dans son dernier rapport d’activité (pdf), elle déplore aussi de ne pas avoir les moyens d’y faire face. Une antienne qui n’a rien de nouveau.
En 2011, la commission chargée de veiller à l’application de la loi “Informatique et Libertés” de 1978 a récupéré deux chapitres conséquents. Comme elle l’appelait de ses vÅ“ux, la Loppsi 2 lui a confié le contrôle des caméras de vidéoprotection vidéosurveillance relevant de la loi de 1995, celles sur la voie publique.
En 2011, leur chiffre est estimé à 897 750 par les commissions départementales de la vidéoprotection. Avant, elle ne devait s’occuper que de celles relevant de la loi de 1978, c’est-à -dire dans des locaux qui ne reçoivent pas de public (bureaux par exemple).
Soit comme le calcule le secrétaire général Yann Padova en introduction :
Un nombre de caméras près de 25 fois supérieur.
Second bébé, qui découle de la transposition de la directive révisant le paquet Telecom, les entreprises du secteur des télécommunications doivent désormais notifier les violations de données à caractère personnel à la CNIL. Et là , c’est l’inconnue :
À cette heure, il est encore très difficile de pouvoir quantifier le nombre de failles de sécurité qui sont susceptibles d’être déclarées auprès de nos services.
En revanche, la Cnil est en sûre, les onze postes qu’elle a obtenus en plus l’année dernière, soit un total de 159, ne pèsent pas lourds :
Cette augmentation significative des moyens reste encore insuffisante, comme l’ont souligné les récents débats parlementaires lors du vote de la loi de finances pour 2012.
Même si l’organisme a multiplié les contrôles, 385, soit +25% par rapport à 2010, elle est loin de pouvoir en faire autant que l’enjeu le nécessite.
Explosion des plaintes
Dans ce contexte, le nouveau record de plaintes enregistrées, 5 738, est à double tranchant : il est à la fois le signe que les gens sont de plus en plus sensibles au sujet et reconnaissent la Cnil comme l’organisme de référence, mais il la renvoie aussi à ses limites humaines. Et encore, ce chiffre est à relativiser à la hausse, souligne-t-elle :
Ces chiffres sont d’autant plus remarquables qu’ils ne tiennent pas compte des milliers de demandes écrites de particuliers directement traitées par le Service d’orientation et de renseignement du public (SORP) de la CNIL, autrefois comptabilisées comme plaintes. Ils n’intègrent pas, non plus, les multiples questions téléphoniques de particuliers qui ont été prises en charge par le SORP et par le service des plaintes.
La hausse concerne tous les secteurs, et en particulier le “droit à l’oubli” (+ 42%, sans que le rapport ne donne plus de détails que les deux lignes qu’elle y consacre) et la vidéosurveillance, +30%. La surveillance des salariés est aussi une donnée notable : les plaintes à ce sujet concerne la moitié des 12% des plaintes relevant de la gestion des ressources humaines. La Cnil a observé deux tendance à la hausse significatives :
Cybersurveillance (+59%) : il s’agit des dispositifs mis en Å“uvre par l’employeur pour contrôler l’utilisation des outils informatiques et l’accès à la messagerie électronique.
Sécurité des données de ressources humaines (+27%) : faille de sécurité du réseau informatique ou erreur humaine ayant pour conséquence la divulgation, aux collègues ou plus largement sur internet, de données telles que le numéro de sécurité sociale, les revenus ou les coordonnées des salariés.
Caméras illégales
Les 150 contrôles effectués par la Cnil sur les dispositifs de vidéosurveillance montrent que l’outil évolue encore trop souvent dans l’illégalité :
Une absence d’autorisation ou absence de renouvellement préfectorale (environ 30 % des contrôles)
Une absence de déclaration à la CNIL pour les parties de dispositifs relevant de la loi de 1978 (environ 60 % des cas)
Une mauvaise orientation des caméras (environ 20 % des contrôles). Certains contrôles ont permis de constater des caméras “cachées”, notamment dans les détecteurs de fumées.
Une durée de conservation excessive (environ 10 % des contrôles)
Des mesures de sécurité insuffisantes (environ 20 % des contrôles).
Au passage, la Cnil a relevé que “l’utilisation de caméras factices et les dysfonctionnements pouvant affecter les dispositifs vidéo (absence d’enregistrement, mauvaise qualité de l’image, etc.” Si cela n’a rien d’illégal, ces constats apportent de l’eau au moulin des rapports démontrant l’inefficacité de la vidéosurveillance.
La rengaine du fichier erroné
Chaque année, le rapport de la Cnil est l’occasion de refaire le même triste constat sur les fichiers d’antécédents judiciaires, Judex, Stic, ancien fichier des RG… : ils sont truffées d’erreurs lourdes de conséquences. En effet, “on évalue à 1,3 million le nombre d’emplois concernés par des procédures administratives“, rappelle la Cnil. Fourre-tout record avec 68% de la population française fichées, le STIC mélange mis en cause mais aussi et surtout victimes.
Si une personne s’est vu refuser un emploi en raison de son inscription dans un de ces fichiers, elle peut faire valoir son droit d’accès indirect pour vérifier les données. 2099 personnes y ont eu recours en 2011 :
Comme le résume la Cnil dans la page qu’elle consacre ensuite à des témoignages de gens victimes d’erreurs :
Ça la fiche mal !
Et ça risque de la ficher encore mal un certain temps. Selon un rapport des députés Delphine Batho et Jacques-Alain Benisti, il existe 80 fichiers de police, “dont un certain nombre demeurent encore illégaux au regard des dispositions de loi ‘Informatique et Libertés’.”
Si un amendement de la Loppsi doit “atténuer l’effet pénalisant de la consultation [des fichiers d'antécédents judiciaires] en termes d’emploi”, son effet est pour l’instant virtuel :
L’application effective et immédiate de cette disposition à l’ensemble des enregistrements existants (environ 6,5 millions de personnes mises en cause enregistrées dans le fichier STIC et 2,5 millions dans le fichier JUDEX en 2011) se heurte néanmoins aux difficultés structurelles de mise à jour de ces fichiers qui dépend, dans une large proportion, de la communication aux services de police, par les procureurs de la République, des suites judiciaires intervenues pour chacune des infractions relevées.
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